Près d’un an après le tragique incendie ayant ravagé Notre-Dame de Paris, le ministère de la Culture est allé à la rencontre des acteurs de sa restauration. Jean-Michel Guilment, chef de projet au sein de l'établissement public, travaille pour la maîtrise d'ouvrage de la cathédrale. (2/9)

Tout chantier nécessite, à l’instar d’un orchestre symphonique, une parfaite cohésion entre les différents acteurs des travaux et c’est le maître d’ouvrage qui donne le « la » à ce travail d’équipe. Chef d’orchestre sans baguette, il supervise la mise en place technique et l’exécution du projet, en bonne entente avec le maître d’œuvre, chargé, lui, de la conduite opérationnelle des travaux. « C’est l’architecte qui décide de la conduite des travaux. Notre rôle à nous, c'est d'apporter les moyens nécessaires à son travail pour faire en sorte que tout se passe bien », résume-t-il.

Quand l’État décide de restaurer la flèche de Notre-Dame de Paris, début 2019, la maîtrise d'ouvrage du chantier est confiée à un ingénieur de la direction régionale des affaires culturelles d'Ile-de-France, Jean-Michel Guilment. C'est lui qui, à la tête d'une équipe de trois personnes, définit le cahier des charges, évalue les besoins et le budget, établit un calendrier prévisionnel. Une mission qui se déroule sans encombre jusqu’au 15 avril dernier, jour fatidique qui a bouleversé la donne.

Ce chef d’orchestre sans baguette supervise la mise en place technique et l’exécution du projet, donnant ainsi le "la" au travail d'équipe des différents acteurs du chantier

Un colossal chantier de sécurisation

Avec l'incendie de Notre-Dame, tout s’est accéléré, obligeant Jean-Michel Guilment et ses collègues à agir dans l’urgence, avec des moyens limités. « Au bout de quelques jours, il y avait 80 personnes sur le chantier. Une de nos premières missions a été de mettre la cathédrale hors d'eau - ce que nous avons fait en cinq jours -, puis nous avons commencé à étayer les pignons nord et ouest, à descendre les statues qui menaçaient de s’effondrer. Nous faisions quotidiennement le point mais cela allait toujours plus vite que ce que nous pensions », se souvient-il.

De cette période intense, il retient, en premier lieu, le caractère hors-norme du chantier de sécurisation, illustré par les gigantesques éléments de charpente mis en place pour soutenir la voûte de l’édifice. « J’en avais déjà vu un ou deux posés sur une cathédrale mais là, les vingt-huit arcs-boutants de Notre-Dame sont soutenus par des cintres en bois. C’est complément inédit », estime-t-il.

Le cas du grand orgue de la cathédrale relève, lui aussi, « du jamais vu ». Largement épargné par l’incendie, il est cependant complétement encrassé : la poussière a pénétré ses 7500 tuyaux – ces derniers mesurant jusqu’à 6 mètres de haut - ce qui laisse présager un nettoyage de grande ampleur. « Nous n’avons jamais déposé l'ensemble des tuyaux de cet orgue, il faudra surement concevoir un atelier spécial et faire collaborer plusieurs entreprises à cette fin. C’est un véritable défi, pour lequel il faudra tout inventer », souligne le maître d’ouvrage.

20191128-denisallard_culture-notredame-jmguilment-23_0.jpg Jean-Michel Guilment © Ministère de la Culture / Denis Allard

Une mobilisation exceptionnelle

Jean-Michel Guilment a également été marqué par le puissant courant de fraternité – le mot s’impose de lui-même – qui relie toutes celles et ceux qui œuvrent au chevet de Notre-Dame. Le lendemain de l’incendie, il a eu besoin d’une nacelle pour faire, avec l’architecte en chef, un état des lieux des maçonneries de la cathédrale. « En temps normal, il faut plus d’un mois pour en obtenir une », explique-t-il. En l’occurrence, quelques coups de fils ont suffi à faire dévier la trajectoire d’un engin qui devait être livré en Allemagne. La compagnie motocycliste de la préfecture de police s’est ensuite mobilisée pour l’escorter de la sortie de l’autoroute jusqu’au parvis de Notre-Dame. « A 14h, elle était là », souligne Jean-Michel Guilment.

L’incroyable mobilisation engendrée par le drame se manifeste également au travers de la disponibilité des entreprises et des administrations sur les questions relatives à la cathédrale. « Depuis la nuit du 15 avril 2019, il y a trois cents nouveaux contacts dans mon téléphone. Parmi eux figurent des personnes avec qui j’ai désormais un échange quotidien. Ils sont devenus une sorte de famille de Notre-Dame », observe le maître d’ouvrage.

Une famille au service d’un objectif précis, intemporel : donner à cet édifice de 800 ans les moyens de continuer à perdurer à travers les siècles. Jean-Michel Guilment en sait quelque chose : pendant plus d’une dizaine d’année, il s’est occupé de la cathédrale de Saint-Dié des Vosges, un édifice martyrisé par la guerre et presque entièrement détruit. Après plusieurs grosses campagnes de restauration dans les années 2000/2015, elle a été profondément embellie. « Je sais comment je l’ai trouvé et je sais comment je l’ai laissé » affirme-t-il aujourd’hui, résumant en une phrase le sens même de sa mission au chevet de Notre-Dame.