C'est le volet scientifique du chantier du siècle. Avec une équipe de spécialistes, Lise Leroux, ingénieure au Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques du ministère de la Culture, a été appelée au chevet de Notre-Dame de Paris pour expertiser l'état des pierres de la cathédrale. Premier volet de notre série : ils restaurent Notre-Dame de Paris. 

Une véritable « salle d’opérations ». C'est la première image qui lui est venue à l'esprit, au moment de pénétrer dans l'immense nef jonchée de débris calcinés. Une salle d'opérations, avec ses chirurgiens, ses infirmiers, ses assistants, tous mobilisés avec une unique obsession : panser, soigner, « réparer » un illustre patient vieux de plus de 800 ans : la cathédrale Notre-Dame de Paris.

Appelée au chevet de Notre-Dame pour contribuer à la mission d'expertise sur l'état des pierres de la cathédrale, Lise Leroux, ingénieure au Laboratoire de recherche des Monuments Historiques (LRMH), n'a pas d'autre ambition : « faire parler » les pierres, parfois plusieurs fois centenaires, de la cathédrale. Quelle a été leur résistance face aux températures très élevées de l'incendie ? Ont-elles subi des dommages ? Sont-elles réutilisables ? Autant de questions sur lesquelles elle entend résolument apporter un éclairage scientifique.

Quelle a été la résistance des pierres pendant l'incendie ? Ont-elles subi des dommages ? Sont-elles réutilisables ? Autant de questions sur lesquelles Lise Leroux entend résolument apporter un éclairage scientifique

 Une spécialiste de la pierre

La passion de Lise Leroux pour les pierres ne date pas d'hier. Géologue de formation, titulaire d’un doctorat en sciences du sol à l’Institut national agronomique de Paris, elle reconnaît d'anciennes prédispositions familiales. « Depuis toujours, j’ai eu cet état d'esprit de naturaliste », commente-t-elle. A ces compétences scientifiques, se sont ajoutées de solides connaissances en histoire de l'art, nécessaires pour répondre aux sollicitations du Laboratoire de recherche des Monuments Historiques.

Aujourd'hui, Lise Leroux est devenue une spécialiste reconnue de la pierre, capable de caractériser la nature d'un bloc, d’en évaluer les principales qualités, en particulier le niveau d’altération. Elle est également capable de déterminer sa provenance, en se référant à la lithothèque du LRMH : une collection constituées depuis les années 1940, riche de plus de 6000 échantillons de pierres collectés sur les monuments et les carrières de tout le pays. C'est ainsi qu'elle peut cartographier les différents types de pierre en œuvre sur une façade, tout en repérant la trace d’un outil et en s’appuyant sur sa connaissance des techniques de taille à travers les âges, des techniques d’extraction dans les carrières, du Moyen Âge à nos jours.

Au Laboratoire de recherche des Monuments Historiques, Lise Leroux répond chaque année à plus de soixante-dix saisines, d’une simple identification qui demande une journée de travail, à des chantiers plus longs qui la mobilisent plusieurs semaines. A cette mission de conseil pour la restauration des monuments, s’ajoutent des travaux de recherche et un travail d’expertise pour les musées.

Mécanique du matériau

Lise Leroux n’en est pas à sa première intervention à Notre-Dame de Paris. Elle a travaillé sur la restauration de la porte rouge, celle qui donne accès au cloître sur la façade nord de la cathédrale. Elle était également de l’équipe qui a réalisé l’étude préalable au chantier de restauration à venir du chevet. Mais avec l'incendie, la donne a changé. « Évaluer l’impact du feu sur la structure du monument est ce que l’on nous a demandé de faire en priorité, explique-t-elle. Il fallait vite estimer la perte de compétence mécanique des pierres pour savoir ce qu’elles pouvaient supporter comme poids ».

« Nous avons également très rapidement mis au point, avec le service régional d’archéologie de la direction régionale des affaires culturelle d'Ile-de-France, un système de tri de tout ce qui s’est effondré, ajoute-t-elle, et nous allons tester l’éventualité de réemployer certains blocs pour la reconstruction ». Le résultat de ce tri ? Des centaines de palettes, qui couvrent le parvis de la cathédrale et qui abritent l’ensemble des débris issus de l’incendie. Pour un monument aussi emblématique que Notre-Dame de Paris, aucun gravat ne part à la décharge. Tout est répertorié, analysé, conservé.

Pour la suite, tout dépendra du projet retenu. Et aussi de l’accessibilité des parties hautes du monument. Pour l’instant, Lise Leroux travaille avec les cordistes, les seuls à y accéder. Ils sont ses yeux et ses mains, réalisant pour elle des photos, des mesures et des relevés. Mais Lise Leroux s’est formée à certaines de leurs techniques. Dès que cela sera possible, elle ira voir elle-même les voûtes et les parties hautes endommagées.  « On va faire un peu de voltige », dit-elle, impatiente de faire parler les pierres de Notre-Dame, celles qui ont été durement exposées, pendant l'incendie, au feu et à l’eau.

LRMH : la science se mobilise pour la culture

Créé en 1970, le Laboratoire de recherche des Monuments Historiques intervient partout en France. Il a pour mission d’apporter une assistance scientifique et technique aux travaux de conservation et de restauration des monuments historiques. Il réunit plus d’une vingtaine de chercheurs, organisés en pôles thématiques : la pierre donc mais aussi le bois, le béton, le métal, les textiles et les vitraux, ou bien encore les grottes ornées ou les peintures murales. Lorsqu’ils sont saisis, ces chercheurs établissent des préconisations pour restaurer au mieux un monument, en respectant pleinement son ADN.