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Au milieu du XVIIème siècle, le beffroi de la tour Sud de la cathédrale Notre-Dame comporte deux grosses cloches, appelées bourdons, datés de la fin du Moyen Age, Marie et Jacqueline. Le bourdon Jacqueline, fêlé, fut refondu. Le Chapitre de la cathédrale Notre-Dame décida, le 22 juillet 1680, de le rebaptiser Emmanuel. Plusieurs fontes eurent lieu avant que le bourdon Emmanuel, daté de 1686, et d'un ton plus grave que l'autre bourdon Marie ne fut mis en place dans la tour Sud. Il est classé au titre des monuments historiques par arrêté du 24 juillet 1944.
La première coulée
Une première coulée du bourdon Emmanuel fut effectuée le 17 septembre 1680 par le frère cordelier Jean Thibault, originaire de la Mayenne, "très savant sur les théories qu'il faut connaître pour faire de bonnes cloches, mais inhabile en l'art de les bien réussir [...]".
La deuxième coulée
L'échec de la première coulée conduit le Chapitre à nommer le 31 mars 1681 une commission de plusieurs chanoines pour s'occuper de la refonte du bourdon. Le 30 juillet, un marché est passé avec quatre fondeurs : Nicolas Chapelle, Jean Gillot, François Moreau et Florentin Le Guay, pour "refondre [...] une grosse cloche de huict pieds de diamètre par base ou environ et d'un ton plain au-dessous de celuy de la cloche [...] appelée Marie, et qu'elle soit résonnante, sonore et de bon accord [...]" [Noual (Clément), Les Le Guay, une dynastie de fondeurs de cloches à Paris au XVIIème siècle, mémoire de recherche de Master 2, 2013, p.123-124]
L'opération eut lieu le 31 octobre 1681 et la nouvelle cloche fut bénite le 29 avril 1682 en présence de Louis XIV, de la reine Marie-Thérèse et de nombreux personnages illustres de la Cour. La cloche abandonna son ancien nom de Jacqueline pour prendre ceux d'Emmanuel Louise Thérèse. Le parrain était le roi Louis XIV, la marraine Marie-Thérèse, son épouse.
La robe du bourdon était parsemée de fleurs de lys et ses mensurations, converties en mesures actuelles, étaient, selon certaines sources, les suivantes: hauteur: 2,916 m; circonférence; 8,127 m; diamètre: 2,586 m; épaisseur: 24,3 cm; poids: 13 917 kg.
Le bourdon Emmanuel est hissé le 14 juillet 1682 dans la tour Sud. Au mois de décembre, le Chapitre s'aperçut que le nouveau bourdon était un demi-ton trop bas. En procès, avec le Chapitre, les fondeurs obtinrent d'abord gain de cause par sentence rendue au Châtelet le 8 août 1684, mais le 12 janvier 1685, un arrêt du Parlement les condamne à "descendre la cloche, la faire refaire et livrer suivant le marché fait et la remonter à leurs dépens moyennant la somme de trois mille livres, outre les douze cent livres restants dues" [Arch. nat, X1A, 6336, f°367-368]. Le 5 septembre 1685, le bourdon fut descendu et le travail des fondeurs dut reprendre.
La troisième coulée
Les fondeurs Nicolas Chapelle et François Moreau durent donc se remettre à l’œuvre. Cette troisième fonte fut réalisée sous la direction de Florentin II Le Guay, alors âgé de 28 ans, le plus jeune de l'équipe. Fort de son expérience et des connaissances acquises auprès de son père lors de la réalisation du bourdon de la cathédrale de Reims, un an auparavant, Florentin II fut très engagé, très déterminé dans cette entreprise, pour laquelle il savait pouvoir s'appuyer sur les compétences de ses associés.
La coulée fut réalisée en mars 1686, comme l'indiquent les inscriptions relatives aux fondeurs :
- D'un côté : N. CHAPELLE. I. GILLOT. F. MOREAV. MONT FAICT EN 1685
- De l'autre : FLORENTIN LE GVAY. NATIF. &. MAISTRE. DE. PARIS. MA. FAICTE. A. PARIS.
Les noms des fondeurs ont volontairement été séparés et celui de Jean Gillot, décédé avant janvier 1685, fut néanmoins inscrit sur la cloche, en signe d'estime et d'hommage de la part des autres fondeurs envers celui qui avait œuvré avec eux.
Au total, le bourdon Emmanuel connut donc trois fontes : le 17 septembre 1680, le 31 octobre 1681 et la 4 mars 1686. Mis en chantier à l'automne 1685, le moule fut terminé au début de 1686. Cette dernière coulée fut réussie. Le poids du bourdon fut augmenté de 1958 km. Si sa robe n'était plus garnie de fleurs de lys comme la précédente, ses anses conservèrent un décor identique. L'inscription fut quelque peu modifiée. Le 29 avril 1686 eut lieu la bénédiction d'Emmanuel par Mgr de Harlay.
Le bourdon issu de la deuxième coulée de 1681 sonna ainsi pour le service de Marie-Thérèse, sa marraine, célébré à Notre-Dame le 4 septembre 1683, mais ce fut le bourdon issu de la troisième fonte de 1686 qui sonna pour le service de Louis XIV, son parrain, le 28 octobre 1715.
Le bourdon Emmanuel fut déposé en 1794 par ordre du Comité de sûreté générale, qui craignait qu'il ne servit pour sonner l'alarme. Il fut remis en place pour la cérémonie du Concordat, célébré à Notre-Dame, le dimanche 18 avril 1802. Depuis plusieurs années cependant, on évitait de le sonner à toute volée, son beffroi fragilisé et adhérent à la tour menaçait de l'entraîner dans sa chute.
Les inscriptions, les décors et les mensurations
Les décors du bourdon Emmanuel comportent des éléments relevant de l'épigraphie, ou ensemble des inscriptions précisant les noms des parrain et marraine, des donateurs, le prénom de la cloche, la dédicace, la date, le nom des fondeurs, etc., mais aussi de l'iconographie : frises, filets, effigies, etc.. L'épigraphie et l'iconographie sont autant d'éléments permettant de préciser l'histoire de la cloche mais également de la situer dans son contexte stylistique de création.
De type "couronne", les six anses sont ornées de têtes masculins. Le cerveau, ou assiette de la cloche, est orné d'un talon, puis d'une série de filets d'épaisseurs diverses.
La robe de la cloche s'orne d'une frise formée de cartouches, chacun encadré d'une console en forme de "S", supportant une couronne timbrée d'une fleur de lys. La couronne et la fleur de lys ont été burinées à la Révolution ainsi qu'une grande fleur de lys placée au centre du cartouche, entre les deux consoles.
L'inscription en latin, est disposée sur trois lignes, chacune séparée par un jonc encadré d'une gorge puis d'un filet. Les lettres romaines, en relief, sont capitale; des points séparent les mots entre eux. L'inscription de 1686 reprend certains éléments de celle de 1681, dont la mention de la reine Marie-Thérèse, quoique décédée, et celle de la date de sa bénédiction, le 29 avril 1682.
- (1ère ligne): + QVAE. PRIVS. IACQVELINA. IOANNIS. COMITIS. DE. MONTE. ACVTO. DONVM. POND. XV. M. NVNC. DVPLO. AVCTA. EMMANUEL. LVDOVICA. THERESIA. VOCOR.
- (2ème ligne): A. LVDOVICO. MAGNO. AC. MARIA. THERESIA. EIVS. CONIVGE. NOMINATA. ET. A. FRANCISCO. DE. HARLAY. RIMO. EX. ARCHIEPISCOPIS. PARISIENSIBVS.
- (3ème ligne): DVCE. AC. PARI. FRANCIAE. BENEDICTA. XXIX. APRILIS. MDCLXXXII
[Traduction: "Je m'appelais auparavant Jacqueline. J'ai été donné par Jean, comte de Montaigu. Je pesais quinze milliers, maintenant j'en pèse le double. Je m'appelle Emmanuel-Louise-Thérèse. J'ai été nommé par Louis-le-Grand et Marie-Thérèse, son épouse. Bénit le 29 avril 1682 par François de Harlay, premier d'entre les archevêques de Paris duc et pair de France"].
La robe du bourdon comporte une grande frise formée de feuilles pendantes alternées grandes et petites et plusieurs effigies :
- à l'ouest : un crucifix entouré de deux personnages (la Vierge Marie et saint Jean), la croix est posée sur un piédestal de quatre degrés décorés d'une frise de fleurs de lys, angelots ailés et rinceaux, un décor caractéristique très souvent utilisé dans les cloches fondues par Florentin Le Guay ;
- à l'est actuel : Vierge à l'Enfant entourée, à gauche de saint Pierre, à droite de saint Paul, tous deux reposant sur un piédestal. Les douze étoiles qui entouraient la Vierge Marie et la base du piédestal ont été limées, vraisemblablement en 1794.
Le bas de la robe comporte un jonc et deux inscriptions :
- à l'ouest : N. CHAPELLE. I. GILLOT. F. MOREAV. MONT FAICT EN 1685
- à l'est : FLORENTIN LE GVAY. NATIF. &. MAISTRE. DE. PARIS. MA. FAICTE [...]: BAPTISTE * MA [...] 1794?
Ces deux inscriptions reposent sur un décor constitué d'un filet, un petit jonc, un gros, un filet et un autre filet.
La pince de la cloche comporte un filet, un gros jonc, dans une gorge et un jonc et présente de fortes ébréchures.
Diamètre (en cm) Extérieur (à la base) | Hauteurs (en cm) Prise en haut: du centre intérieur à la base de la cloche | Circonférence (en m) | Poids (cloche seule sans ses accessoires) |
261 | 205,2 | 8,195 | 13 320 kg |
Les accessoires du bourdon Emmanuel
- Le joug
Des travaux importants furent réalisés en 1973 consistant en la restauration de la suspension du bourdon, du tournage du bourdon d'un quart de tour et du remplacement de la bélière posée en 1846. D'autres travaux importants ont été entrepris sur le joug en 2016 concernant le contrôle du positionnement des carrés d'axes, le comblement de l'ancien logement des carrés avec des sections de chêne, la diminution de la hauteur du joug, la réalisation d'une nouvelle empreinte de la couronne, la pose d'un nouvel ensemble de roulements à rouleau, le remplacement des anciennes brides par des brides démontables et la modification du système de motorisation et de transmission de l’effort de volée.
- Les différents battants
Les battants anciens du bourdon étaient forgés et se composaient d'un fût terminé à une extrémité par un renflement formant boule (ou poire) qui frappait la cloche à sa partie la plus épaisse, et à l'autre extrémité par une boule à laquelle était attaché un baudrier de cuir plus long que celui d’aujourd’hui et relié à la bélière intérieure de la cloche.
Différents battants équipèrent le bourdon Emmanuel. Le premier battant (1037 livres, soit 507,60 kg), fourni par Toussaint Hardelet, maître forgeron de l'artillerie des Flandres, est celui du deuxième bourdon, réalisé en 1581. Le deuxième battant, d'une longueur de 1,78 m et d'un poids de 367 kg environ, produit aussi par Toussaint Hardelet, correspond au troisième bourdon et demeura en service de 1686 à 1804. Le troisième battant dut mis en service dès 1804; il avait servi initialement au second bourdon Marie, pour lequel il avait été forgé en 1683; plusieurs fois restauré, il se rompit le 2 février 1840 et fut redescendu le 27 mars 1844. Le quatrième battant, dont la réalisation fut confiée au serrurier-mécanicien Cavé en janvier 1844, fut en service jusqu'en 2017; il pesait 542 kg et était long de 2,54 m; il fut rectifié en 2000 par meulage général de sa surface et son poids fut réduit à 474 kg. Le cinquième (et actuel) battant, posé dans la nuit du 16 octobre 2017, plus léger que le précédent '447 kg), mais avec une chasse plus longue, a été fourni par l'entreprise Cornille-Havard et réalisé en acier doux forgé.
Les modes de sonnerie du bourdon Emmanuel
Différents moyens furent successivement utilisés pour mettre le bourdon à la volée.
Selon les planches VII et VIII de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, représentant le beffroi de Notre-Dame, le bourdon était mis à la volée par sonnerie à la corde. Sur le joug du bourdon, étaient fixés quatre bras d'une longueur de 2,5 toises (soit 4,86 m), où étaient disposés deux quarts de roue à gorge, sur lesquels s'enroulaient les cordes d'une longueur totale de 9,5 toises (soit 18,50 m). Chacune des quatre cordes était divisée, à leur partie inférieure, en plusieurs autres cordes. Seize poutres entretoises assuraient la rigidité de l'ensemble à l'étage immédiatement inférieur, sous le plancher des deux bourdons.
Au XIXème siècle, à l'occasion de la restauration du beffroi par Lassus et Viollet-le-Duc, on remplaça la sonnerie à la corde par la sonnerie au pied. Selon un système inventé et réalisé par Jean-Baptiste-Amédée Bollée, fondeur au Mans (1812-1911), les quatre pédaliers, toujours en place, pèsent ensemble 1500 kg. Huit sonneurs y prenaient place, par équipes de deux, se faisant face de part et d'autre de la cloche.
Deux des quatre pédaliers ont été déposés ultérieurement pour la pose de la roue de sonnerie électrique actuelle.
Pour en savoir plus:
- Consulter le site de la Société française de campanologie
- Pour en savoir plus sur le fondeur Florentin Leguay, consultez la thèse de l'école des Chartes de Clément Noual soutenue en 2015: "A l'enseigne de la Cloche d'or, Les Le Guay, une dynastie de fondeurs de cloches à Paris sous l'Ancien Régime"