Au soir de l’incendie qui a embrasé Notre-Dame, l’effondrement de la charpente entraîne la chute de la flèche de Viollet-le-Duc, d’une partie des voûtes de la croisée et un arc doubleau de la nef. Plusieurs amas de décombres se forment alors au sol (partie orientale de la nef, bras nord du transept et la croisée), ainsi que sur les voûtes du chœur et de la nef. Parmi les matériaux enchevêtrés se trouvent de très nombreux blocs lapidaires de la croisée et de l'arc de la nef, d'importants amas de bois d'œuvre issus de la charpente et de la flèche, mais aussi des éléments métalliques provenant de la charpente et de la couverture (crêtes de faîtage, feuille de plomb, décors de fonte…).

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La toiture de la cathédrale Notre-Dame de Paris après l'incendie © ALEXIS KOMENDA / C2RMF / MINISTÈRE DE LA CULTURE

Pour préserver mais aussi documenter ces décombres immédiatement appréhendés comme des "vestiges" et dont l'étude sera primordiale tant dans le cadre de la restauration à venir que pour la compréhension de l'édifice et pour de futures recherches, un protocole de prélèvement et de tri méthodique est élaboré dès le 25 avril par le Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH) et le service régional de l’archéologie (SRA) de la Direction générale des affaires culturelles (DRAC) d’Île-de-France. La mise en œuvre de ce protocole constitue la première étape d'une chaîne opératoire continue, allant du prélèvement des vestiges jusqu'à leur conservation.  

Un rassemblement de spécialistes

Les opérations de prélèvement et de tri au sol démarrent dès fin avril, en présence de scientifiques et d’archéologues du ministère de la Culture (chercheurs du LRMH,  du SRA, archéodendromètre et photographe du Centre de recherche et de restauration des musées de France - C2RMF),aidés ponctuellement de collègues de l’Institut nationale de recherches archéologiques préventives (INRAP) et de compagnons présents sur le chantier. Les lieux n’étant pas directement accessibles pour des raisons de sécurité, ces opérations sont menées avec l’aide d’engins téléguidés de la société SGLM, qui déposent minutieusement sur une table de tri tous les décombres prélevés. Chaque levée de godet est préalablement documentée par de très nombreuses prises de vue photographiques (plus de 40 000 clichés ont ainsi été pris), permettant ainsi de contextualiser tous les vestiges récupérés. L’ensemble est ensuite stocké sur des palettes conservées dans des barnums installés sur le parvis, où elles font l’objet d’un premier inventaire. Les amas du bras nord du transept et de la croisée sont totalement déblayés début juillet 2019.

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Les robots déblaient les gravats © PIERRE NOËL / MINISTÈRE DE LA CULTURE

Une étape essentielle pour la connaissance ; relever et localiser les vestiges

Une nouvelle étape de prélèvement débute à partir de juillet 2019. L’objectif : traiter l’amas présent dans la partie orientale de la nef où se trouvent majoritairement des bois de la charpente du XIIIe siècle ainsi que des blocs provenant de l’arc doubleau effondré, daté de la fin du XIIe – début du XIIIe siècle. Le tri mis en œuvre dans le cadre réglementaire d’une décision de fouille, s’accompagne de prises de vue ortho-photogrammétrique permettant ainsi de localiser presque en temps réel sur un support numérique l’ensemble des éléments prélevés. En raison de l’interruption de chantier pour sa mise aux normes plomb, ce tri ne s’achèvera que mi-novembre 2019.

Parallèlement, dès juillet 2019, les très nombreux matériaux effondrés sur les voûtes des deux bras du transept (bois, charbons, éléments de toiture, cloches, fragments d’horloge…) sont eux aussi documentés et prélevés – cette fois-ci grâce à l’aide de cordistes – avant d’être triés et inventoriés dans les barnums sur le parvis. 

A compter de février 2020, le plancher progressivement installé au-dessus de l'extrados des voûtes du chœur et de la nef, facilite la poursuite du tri et l’évacuation de ces zones très fragilisées. Dans des conditions d’interventions difficiles, le prélèvement est documenté grâce à un système d'acquisition photogrammétrique mis en place par l’unité mixte de recherche « Modèles et simulations pour l’Architecture et le Patrimoine » (MAP) du ministère de la Culture et du CNRS. Ce tri s’achève fin septembre 2020. Reste alors à traiter l’ensemble des vestiges encore en place sous l’échafaudage calciné, qui ne s’achèvera qu’en mars 2021.

L’intégralité des vestiges prélevés et conservés a été stockée dans un premier temps dans des barnums installés sur le parvis, où ils ont fait l’objet d’un premier inventaire et d’une campagne photographique.

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Le chantier sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame de Paris © ALEXIS KOMENDA / C2RMF / MINISTÈRE DE LA CULTURE
Elements retrouvés dans les gravats © DAVID BORDES / MINISTÈRE DE LA CULTURE

Le souhait de la maîtrise d’œuvre d’isoler un certain nombre d’éléments pouvant aider directement le projet de restauration a conduit à distinguer plusieurs catégories :

- les éléments d’architecture, sélectionnés par les architectes en chef des monuments historiques pour être réemployés dans la restauration ou utilisés pour la documenter (près de 200 palettes de pierres et 150 palettes d’éléments métalliques)

les vestiges, susceptibles de présenter un intérêt pour la recherche ou pour une utilisation muséographique future : 600 palettes d’éléments lapidaires, 350 palettes d’éléments métalliques (crêtes de faîtage, tiges boulonnées, éléments d’engrenage de l’horloge…), plus de 3000 pièces de bois provenant des amas du sol et près de 7000 pièces de bois provenant des extrados des voûtes; 

les déchets (rebuts de tri), sans intérêt pour la restauration ni pour la recherche, encore conservés à l'heure actuelle mais qui devront à terme être éliminés.

Quelles destinées pour les vestiges? 

Afin de permettre la poursuite du chantier et l’aménagement du parvis de la cathédrale, l’ensemble des vestiges a fait l’objet d’un transfert en 2021 vers de nouveaux lieux de stockage loués et aménagés par l’Etablissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Ils sont placés sous la responsabilité de la DRAC Ile-de-France, qui en assure la conservation, tant en raison de leur classement au titre des monuments historiques (ils sont en effet devenus de fait, au regard de la loi, des objets mobiliers classés) que de leur régime de « biens archéologiques mobiliers ».

A compter de janvier 2022, les vestiges seront ainsi accessibles aux laboratoires scientifiques désireux de poursuivre les études et analyses , et d’effectuer des prélèvements  : dans le cadre du chantier scientifique, une « convention de dépôt pour étude des vestiges » a été signée en octobre 2020 entre la DRAC et le CNRS, ouvrant ainsi de réelles perspectives pour une meilleure connaissance de cet édifice emblématique dans son contexte de mise en œuvre. Car si l’incendie de la cathédrale est à l’origine d’une perte irréparable, il va cependant permettre la mise en œuvre de très nombreuses études, impossibles à réaliser sur des matériaux en œuvre : l’étude des bois et des charbons, les marques de travail sur les pierres, la provenance des plombs, la nature des mortiers utilisés… permettront en effet d’accroître la connaissance sur la cathédrale et les conditions de sa construction. 
Tout au long de ces travaux de recherche, et en collaboration avec tous les acteurs du chantier scientifique, devra s’engager une réflexion portant sur le devenir à plus long terme de cette « matériauthèque » : si certains vestiges sont appelés à constituer une collection patrimoniale (éléments mis en valeur dans des lieux d’exposition par exemple), d’autres constitueront une collection d’étude accessible aux chercheurs sur le très long terme, tandis qu’un certain nombre d’éléments feront l’objet d’une élimination.